lundi 28 septembre 2009

Feu !


Cette image, c'est celle d'une destruction, publiée à l'heure de la reconstruction...
Deyrolle, le célèbre taxidermiste parisien et magasin -plus que cabinet- de curiosités a brûlé en février 2008. Lors de l'incendie, touchant le premier étage, une partie des meubles et des animaux y est passée, réservant aux pompiers d'étranges surprises...
Le magasin retapé a rouvert ses portes au public. Vous pourrez à nouveau y voir toutes sortes bêtes sur pattes petit format (papillons, phasmes, scarabées etc..) et grand format ( du faon à la girafe), ainsi que des reptiles, et quelques coquillages et crustacés. Bref, rien de comestible, mais de quoi nourrir les curiosités et les mirettes à l'oeil.
De l'incendie, le photographe Laurent Bochet a tiré une série à la fois drôle et apocalyptique, où les animaux à moitié mangés par le feu semblent encore poser avec les pompiers dans leur intérieur bourgeois et pourtant dévasté.
Les images sont nommées comme la chaleur atteinte au coeur du brasier : 1000°. Elles sont exposées en ce moment chez Deyrolle parmis leurs modèles dont cerrains sont devenus des stars de la publicité.
Un livre beau mais cher (120e) est édité pour l'occasion chez Assouline.
Visite: 46, rue du Bac, 75007, Paris.
Pour plus d'infos (et de photos), le site internet de Deyrolle.

mercredi 16 septembre 2009

La chose génitale


Désiré-Magloire Bourneville et Paul Regnard,
Attaque d'Hystérie, Première Phase, vers 1877.
Planche 2 de l'Iconographie Photographique de la Salpêtrière
Institut de France

"Je songe à ce qu'en dit Freud dans Malaise dans la Civilisation sur le redressement de l'animal à quatre pattes : lorsqu'il se met debout, le singe devenu homme perd l'odorat. En clair, ses organes sexuels s'éloignent de ses narines. Seul le coït, dit Freud, redonne à l'être humain le sens et le goût des humeurs de sexe. Il y faut un "lâcher-tout" qui n'est pas sans rapport avec la transe ; et comme dirait le professeur Charcot à propos des crises d'hystérie qu'il suscitait sous les yeux du jeune Freud à Paris, "il y a de la chose génitale là-dedans"."
Dans Le Féminin et le Sacré, Julia Kristeva et Catherine Clément reprennent ces propos de Charcot sur l'extase des femmes à la Salpêtrière.

Désigner la "chose génitale" dans l'hystérie, c'est d'abord se référer à l'étymologie du terme, liée au terme d'utérus. Jusqu'au XIXe, on pensait en effet que l'hystérie était une pathologie due à la remontée de l'utérus dans le corps.
Mais désigner cette chose monstrueuse, c'est aussi rappeler que, socialement (et sous certaines influences religieuses), la place des organes fait aussi office de hiérarchie. En haut, le noble : la tête où siège la pensée, la séduction chaste de la chevelure, les yeux (paraît-il fenêtres de l'âme), les larmes. En bas, l'ignoble : les déchets corporels, l'ancrage dans la terre, et le siège qui est aussi au principe des pulsions (paraît-il animales)...
Dans l'hystérie, quand la femme se change en bête, il ne pouvait y avoir que de la chose basse et animale. Mais pourquoi la femme en particulier?
La femme, c'est le sujet d'étude du docteur Charcot, psychiatre à la Salpêtrière à la fin du XIXe siècle. Il s'intéresse alors à l'hystérie, crée une ville psychiatrique dans Paris, tente de comprendre et de classer les pathologies en "types". Pour ce faire, il installe un service photographique dans ses locaux et élabore une iconographie des "folles".

Dans L'Invention de l'Hystérie, Georges Didi-Huberman s'intéresse plus au médecin et à sa démarche qu'aux patientes de la Salpêtrière. Il interroge ce lien étrange entre celui qui soigne, observe et parfois contemple ses innombrables modèles- autour de 4000 femmes étaient alors enfermées là. En effet, Charcot fit plus oeuvre d'exhibition que de guérison. Dans ses fameuses "leçons du mardi", on se presse pour voir et entendre les folles, on classe, on désigne.
Georges Didi-Huberman tente de décripter cette micro-société basée sur le spectacle et sur l'image, rendue possible par les progrès de la photographie.
Quand il parle d'Invention de l'Hystérie, l'auteur pense le terme "inventer" comme créer, puis comme imaginer- abuser déjà de cette création-, et enfin comme trouver (comme on invente un trésor), c'est-à-dire tomber sur la chose par hasard.
De toute évidence, Charcot serait alors tombé sur une chose génitale. Ah tiens.

Je vous le conseille donc: Invention de l'Hystérie, Charcot et l'Iconographie Photographique de la Salpêtrière de Georges Didi-Huberman.

Texte

Nouveau procédé : une fois de temps en temps, un simple extrait d'un livre que je suis en train de lire et que j'aime.
Envoyez les vôtres...

"Ni trop relâchée, ni trop coincée, voilà Capri.
J'étais attablée dans un café de la place. Plus exactement, j'étais attablée sur la place, tant ce café a élargi son territoire de sièges en bambou poussés sous des guéridons en bambou guère plus grands que des soucoupes.
J'avais mon ordinateur portable sur les genoux- c'était le seul endroit possible- et je dégustais un espresso avec une part de torta Caprese, lorsque je t'ai vue passer sur la place, juste à la limite de l'extension du bar.
Tu portais une robe sans manche et des sandales, et je me suis rendu compte que tu faisais partie de ces belles dames sans âge, et que ton compagnon, quelque peu sinistre, avait les cheveux grisonnants. Je sais ce que je suis : petite, fugace, marginale, personne ne se retournerait sur moi. Toi, tu avais l'habitude d'attirer les regards, c'est évident.
Tu t'es arrêtée devant une boutique qui vendait de lourds bijoux d'améthyste. Le vendeur est apparu tel un génie hors de sa jarre et il t'y a prestement fait entrer. Ce qui m'a laissé le temps de régler mon addition, de ranger mon portable et d'observer ton mari. Si c'était ton mari."

Powerbook, de Jeanette Winterson, Editions de l'Olivier, traduit de l'anglais par Suzanne V. Mayoux.